Inclusion des neurodivergences : accueillir la diversité cognitive en Maison de Jeunes

Longtemps perçue à travers le prisme du trouble ou du déficit, la neurodiversité propose un autre regard : celui d’une pluralité de fonctionnements cognitifs, émotionnels et sensoriels qui composent la richesse humaine. Être neurodivergent, c’est percevoir, comprendre et interagir avec le monde autrement : plus vite, plus fort, parfois en décalage. Les profils concernés sont multiples — autisme, TDA/H, dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, haut potentiel, troubles anxieux, etc. — et forment un spectre bien plus large qu’une catégorie médicale. Les travaux de Judy Singer (1998), sociologue autiste, ont posé les bases du concept : la neurodiversité n’est pas une pathologie, mais une variation naturelle de la cognition humaine. Depuis, les sciences de l’éducation, la psychologie et la neurobiologie confirment que ces singularités, quand elles sont comprises et soutenues, peuvent devenir des atouts : créativité, mémoire, pensée visuelle, hyper-focus, empathie fine (Armstrong, 2015 ; Baron-Cohen, 2022).

“The world needs all kinds of minds.”
Le monde a besoin de toutes les formes d’esprit.

Temple Grandin, chercheuse autiste et militante

En effet,  le concept de neurodiversité, forgé par la sociologue autiste, puis approfondi par Nick Walker (2021), s’inscrit dans une perspective de justice cognitive. Il s’agit de passer du modèle du déficit (médical) au modèle de la diversité (social), à l’instar des mouvements féministes ou queer.

Comprendre avant d’inclure : observer, écouter, relier

Dans une Maison de Jeunes, les profils neurodivergents sont souvent présents, sans forcément être identifiés.Un jeune qui s’isole après le bruit d’un atelier, un autre qui semble distrait mais capte chaque détail, une jeune fille qui fond en larmes après une remarque anodine : ces signaux ne relèvent pas de la « mauvaise volonté », mais d’une réaction neurologique différente.

L’inclusion commence donc par une posture d’observation et d’écoute, plutôt que de jugement. Se former aux bases de la neurodiversité permet d’adapter les activités sans stigmatiser. Une simple discussion d’équipe autour de cas vécus peut déjà ouvrir la voie à des ajustements concrets : réduire les stimuli sonores, clarifier les consignes, permettre des pauses sensorielles, offrir un cadre stable et prévisible.

Mais comprendre la neurodiversité ne se limite pas à acquérir des connaissances : c’est aussi entendre celles et ceux qui la vivent. Depuis quelques années, une véritable culture de la vulgarisation et de l’empouvoirement neurodivergent émerge, portée par des créateurs et militantes qui traduisent leurs expériences en outils accessibles, visuels et bienveillants. Ces voix, largement suivies sur les réseaux sociaux, aident les équipes de terrain à se former autrement — par le témoignage, la créativité et le partage d’expériences.

Les comptes francophones comme @neurospicy.fr, @lecoindesneurodivers, @autisme_inclusif, @tdah.france, @la_psy_qui_parle ou @neuroatypiqueclub jouent un rôle essentiel : ils rendent visible la diversité cognitive et offrent des ressources concrètes pour comprendre les réalités vécues derrière les diagnostics.Côté anglophone, des profils tels que @neurodivergent_insights, @adhd.love ou @autisticwomenandnonbinarynetwork prolongent cette dynamique internationale d’éducation populaire numérique.

Ces créateurs et créatrices réhabilitent des vécus longtemps stigmatisés en savoirs partagés : leurs publications expliquent la surcharge sensorielle, la fatigue sociale, les stratégies d’adaptation, ou encore les besoins d’aménagement dans les lieux d’apprentissage et d’accueil. Leur travail contribue à changer le regard collectif, en donnant aux jeunes neurodivergents un miroir positif et aux professionnels un vocabulaire plus juste pour en parler.

Ainsi, la neurodiversité n’est plus seulement un sujet “de santé” : elle devient un enjeu culturel, éducatif et citoyen, où la parole des concernés nourrit directement les pratiques des Maisons de Jeunes.

Neurodiversité et inégalités : penser la double invisibilité

Mais pour de nombreux jeunes, cette parole peine encore à être entendue.
Les jeunes neurodivergents issus des milieux populaires cumulent plusieurs formes d’invisibilité : précarité socio-économique, diagnostics tardifs ou absents, accès limité aux soins spécialisés, parfois aussi stigmatisation culturelle ou linguistique.

“La neurodiversité en milieu populaire se heurte à une double invisibilité : 
celle du trouble non reconnu et celle du milieu peu valorisé.”

C’est dans cet entre-deux que les Maisons de Jeunes prennent toute leur importance.
Elles peuvent devenir les premiers espaces de reconnaissance et de médiation, où un jeune “différent” n’est pas perçu comme un problème à corriger, mais comme une richesse à comprendre et à inclure. En articulant inclusion cognitive et justice sociale, les équipes de terrain traduisent concrètement le projet de société des Centres de Jeunes et de la FCJMP : représenter et défendre les jeunes des milieux populaires, dans toute leur diversité de parcours, de talents et de fonctionnements.

Accueillir la neurodiversité, c’est finalement faire vivre l’égalité réelle : permettre à chaque jeune, quel que soit son mode de pensée, de s’épanouir, d’apprendre et de participer pleinement à la vie collective.

L’inclusion, un acte éducatif collectif

Inclure la neurodiversité, ce n’est pas « faire plus », c’est faire autrement.
Les animateurs jouent un rôle clé : par leur proximité avec les publics, ils sont souvent les premiers à repérer des besoins particuliers. Une approche inclusive valorise l’empathie, la flexibilité et la créativité : trois compétences fondamentales de l’animateur d’aujourd’hui.

Inclure, c’est donc repenser la pédagogie. L’éducation permanente invite à sortir du modèle “corriger pour normaliser” pour entrer dans le modèle “accompagner pour révéler”.

Dans cette perspective, chaque différence cognitive devient une opportunité d’innovation éducative :
– apprendre à observer sans juger,
– expliciter les règles et les consignes pour tous,
– diversifier les modes d’expression (écrit, oral, visuel, corporel),
– s’appuyer sur les intérêts spécifiques des jeunes comme leviers d’engagement,
– co-construire les activités pour donner une place active à chacun.

Inclure la neurodiversité, c’est donc exercer une pédagogie du détour : accepter de changer d’itinéraire pour que chacun puisse arriver au même lieu d’apprentissage, à son rythme et selon ses forces.

Une Maison de Jeunes qui adopte cette posture devient un espace où l’on apprend la différence en la vivant, un laboratoire d’égalité réelle où l’expérience de chacun enrichit le collectif.

Travailler en réseau : ne pas rester seul face à la complexité des enjeux

La prise en compte des neurodivergences demande une coopération avec des partenaires spécialisés. Les animateurs peuvent s’appuyer sur les centres PMS et CPMS, les services PSE, ou encore sur des associations expertes telles qu’Autisme en Action, TDA/H Belgique, ANB (Association Nationale des Dys) ou Santé Mentale Jeunes.

Ces relais offrent des conseils concrets, des formations et parfois un accompagnement de situations individuelles. Ils rappellent que l’inclusion n’est pas une compétence isolée, mais une responsabilité partagée entre acteurs de terrain, parents, écoles et institutions.

Pourquoi est-ce nécessaire ?

Parce que les jeunes neurodivergents présentent souvent une vulnérabilité accrue à la fatigue cognitive, au stress sensoriel et aux troubles anxieux. La surcharge sensorielle, la difficulté à décoder les interactions sociales ou à gérer la simultanéité des informations peuvent entraîner un épuisement mental — parfois confondu avec un désintérêt, voire un échec éducatif.

Les recherches récentes (Baron-Cohen, 2022 ; Armstrong, 2015) montrent que ce n’est pas la différence cognitive qui crée la souffrance, mais le manque d’adaptation du milieu. Une approche concertée entre éducatif et santé mentale permet donc d’identifier précocement les signes de détresse, de prévenir les shutdowns ou burnouts scolaires, et de proposer des aménagements raisonnables avant que le jeune ne décroche.

Travailler en réseau, c’est donc reconnaître que la santé mentale et la neurodiversité sont interdépendantes : un jeune apaisé, compris et soutenu dans son mode de fonctionnement peut développer ses compétences sociales, cognitives et émotionnelles sans peur du jugement.

Une opportunité éducative et politique

Inclure la neurodiversité, c’est enrichir la vie collective.
C’est faire des Maisons de Jeunes des laboratoires d’égalité réelle, où chaque mode de pensée trouve sa place et où les différences deviennent des ressources d’apprentissage pour le groupe.

Pour les équipes d’animation, c’est aussi une occasion de repenser leurs outils et leurs postures : adapter le rythme, diversifier les modes d’expression, redonner du sens à la pédagogie du détour chère à l’éducation permanente et non formelle. Cette approche valorise les intelligences multiples et permet à chacun de contribuer selon ses forces, son énergie et sa sensibilité.

Mais l’enjeu dépasse la seule pédagogie : accueillir la neurodiversité, c’est affirmer un choix de société. Dans un contexte qui valorise l’uniformité, la rapidité et la performance, reconnaître les fonctionnements cognitifs variés est un acte de résistance éducative et de justice sociale. C’est refuser que la différence devienne un motif d’exclusion, et choisir d’en faire un levier de transformation collective.

Les Maisons de Jeunes ont ici un rôle politique fondamental : elles incarnent la conviction que l’égalité ne se limite pas à l’accès, mais à la participation réelle.
Inclure, c’est garantir que chaque jeune — qu’il soit autiste, TDAH, “dys”, hypersensible, à haut potentiel ou simplement en recherche de repères — puisse participer pleinement à la vie collective, s’exprimer, apprendre et appartenir.

Ainsi, la FCJMP réaffirme son mandat historique : défendre le droit pour chaque jeune en milieu populaire d’exister dans sa singularité et d’être reconnu dans sa dignité.
Inclure la neurodiversité, c’est croire qu’un jeune qui pense autrement n’est pas un problème à résoudre, mais une richesse à comprendre, un regard à écouter et un monde à élargir.

Petit lexique de la neurodiversité

Neurodiversité : Concept proposé par Judy Singer (1998) pour désigner la diversité naturelle des fonctionnements cognitifs, émotionnels et sensoriels humains. Les différences telles que l’autisme, le TDA/H, les troubles DYS ou le haut potentiel ne sont pas des anomalies, mais des variations de la cognition.

Neurotypique : Personne dont le fonctionnement neurologique correspond à la norme majoritaire, sans particularité cognitive ou sensorielle identifiée. Le terme est purement descriptif et non hiérarchique.

Neurodivergent·e : Personne dont le fonctionnement neurologique diffère du modèle « neurotypique ». La neurodivergence forme un continuum : certaines particularités sont visibles, d’autres plus discrètes, mais elles influencent toutes la manière de percevoir, ressentir, interagir et apprendre.

Les principaux profils neurodivergents

Aménagements raisonnables

Ce sont des ajustements simples permettant à chacun de participer pleinement :

  • consigne visuelles
  • routines explicites,
  • pauses sensorielles,
  • environnement calme,
  • adaptation du rythme ou des supports.